Car l’amour existe

13,00 12,35


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Dédié à la compagne disparue, ce livre, empreint d’autant de cinéma que d’amour, célèbre une qualité de présence et un regard porté sur le monde.

Format 14,5 x 20 centimètres
Pages 116
En couverture, création de Martin Miguel
Collection “ Fonds Prose ”
Prix 13,00 €  12,35 €
(remise 5% liée à la vente en ligne)

Catégorie :

Extrait

“L’ordinateur diffuse le film que tu ne regarderas plus. Sur l’écran, il ne me reste que les mots pour tenter de redessiner, en transparence, le reflet de ton visage.”
Ce très beau film, “qu’elle ne regardera plus”, est L’Amour existe, de Maurice Pialat. Parce qu’il fut prélude à leur rencontre, le narrateur en tresse ici le récit avec cet autre, celui de leur courte vie ensemble, interrompue par son geste, à elle. Pialat filme la banlieue de leur enfance : Il n’a pas fait bon rester là, emprisonné, après y être né. Quelques kilomètres de trop à l’écart… commente la voix off (de Pialat). Trente ans après, eux aussi, ont connu les rues lentes et silencieuses…
Contre l’oubli, le livre se remémore. Le cinéma devient texte, et le récit de vie fait image au creux de l’absence. De leurs réalités mêlées émane une grâce lumineuse échappée de la grisaille de ces paysages pauvres.

Nous attendons. Tout en toi s’arrondit, s’ouvre, se déploie. Se prépare à donner. Rien, chez moi, ne saurait  anticiper ce qui vient – recevoir. Attente primale qui nous unit, mais attente qui nous sépare.
Été 2014. L’air, irrespirable, stagne dans notre deux-pièces pantinois. Nous partons chercher un peu de fraîcheur à l’autre bout de la banlieue, au Sud, derrière les volets clos de la maison que mes parents ont, pour le mois d’août, laissée libre. Plus de cris devant les grilles fermées de l’école voisine – mon école. Pas, ou si peu, de passants. Le silence des rues alentour est amplifié par la torpeur de la canicule. La ville elle-même s’est mise en pause. En attente.
Mais l’attente est faite de mouvements. Chacun de mes gestes, ici, se souvient et, dans le même temps, devance le souvenir. Le plus anodin d’entre eux – ouvrir le portail sans le faire grincer, vérifier le soir que les lumières sont éteintes, m’asseoir à la table de la cuisine ou boire une gorgée d’eau à même le robinet – remonte du plus loin de mon enfance et semble s’étonner de l’adulte que je suis devenu – ou simplement s’étonner que ce soit maintenant que je devienne adulte. Car l’enfant, en moi, contemple déjà le futur père. À travers moi, c’est un père – mon père – qui ouvre, éteint, s’assoit, boit. Ce retour improvisé vers le passé – mon passé conservé, gardé au frais derrière les volets de la maison familiale – est déjà une façon de m’inscrire dans notre avenir. La maison est à nous pour un mois, mais, en me l’appropriant, je me glisse en fait dans des habitudes qui ne sont pas les miennes. Pantomime dictée par ce qu’un lieu destine à ceux qui l’habitent. Chacun de mes gestes, ici, m’apparaît comme un prélude : la maison de famille dessine déjà une famille – notre famille.
Chaque matin, je me rends au travail en retrouvant le trajet du 194, modifié par les travaux d’implantation du futur tramway. Je traverse la banlieue de mon enfance – banlieue qui n’est plus ma banlieue, enfance qui n’est plus. Par la vitre, le défilement des bâtiments et des palissades m’évoque ce film que j’aime tant – vingt-deux minutes que, à l’heure de nos premiers échanges, j’avais souhaité partager avec toi. Le silence des rues s’emplit d’une mélodie et d’une voix qui me sont devenues familières et que je veux à nouveau te faire entendre. Le soir, de retour, j’allume mon ordinateur et enclenche le dvd. Ton visage se reflète sur l’écran, se superpose aux images. Enfance, banlieue. Devant le film aimé, je guette, du coin de l’œil, ton profil aimé.
De quelle enfance sommes-nous le fruit ?
Tu as la manie des listes. Jour après jour, tu remplis des carnets et des feuilles volantes. Tu dresses l’inventaire de ce qu’il faudrait, de ce que tu souhaiterais, de ce qu’il reste à. Ligne à ligne, tu prévois, organises, tries. Installée sur le canapé, confortablement calée dans les coussins pastels de ma mère, tu prends des notes sur un cahier à spirale grand format. Abstraction faite du ventre rebondi qui te sert d’écritoire, tu ressembles à une bonne élève, à la fois appliquée et soucieuse, prenant de l’avance pour la rentrée scolaire. Tu y consignes des paroles de comptines, des recettes de purée pour bébé, des références bibliographiques ou des citations. En majuscule, ce matin-là, tu recopies des conseils, tirés de ces nombreuses lectures dont nos amis jeunes parents, par solidarité, perversité ou esprit de revanche, nous ont abreuvés ces derniers mois : être parents est une tâche quotidienne difficile. Affrontez la situation avec humour. Ne vous compliquez pas la vie.
Tu te prépares. Tu nous prépares. Quand tu n’écris pas, tu dessines, couds, découpes, assembles. Toujours, tes mains s’occupent. Recyclant des chutes de tissus et des réglettes en bois, tu te lances dans la fabrication d’un mobile – quelques étoiles en suspens pour veiller, la nuit, au-dessus du futur berceau, quelques formes personnelles qui échapperont à la standardisation des cadeaux de listes de naissance. Je t’imagine, tout au long de la journée, entièrement absorbée par la tâche, concentrée sur un point de couture puis un autre – tes pensées au fil de l’aiguille comme un ennemi passé au fil de l’épée. Toujours, tes mains s’occupent de toi. Prennent soin de toi avec plus de bienveillance que tes pensées qui, à la manière d’un ciel d’orage, peuvent soudain tourmenter l’été de noir.
Quand je repense à cet été, à notre attente, je peux dire tout ce que tu as fait – en quoi, concrètement, tu as transformé cette attente –, mais je ne saurai jamais comment tu as attendu.

Deux mois plus tard, tu donneras la vie. Encore douze de plus et tu te donneras la mort. Terrible puissance du don – mais la mort ne se donne pas, tout juste se reçoit-elle.
L’ordinateur diffuse le film que tu ne regarderas plus. Sur l’écran, il ne me reste que les mots pour tenter de redessiner, en transparence, le reflet de ton visage. Je me contente de décrire. Et j’attends.

Lire un autre extrait

Voir le film L’Amour existe de Maurice Pialat (20 mn)

Avis

Avis

  1. Benoît

    • de Benoît Reiss, auteur et co-directeur de Cheyne Éditeur

    Cher Cyrille,
    j’ai lu Car l’amour existe. Ensuite, bien sûr, j’ai regardé le film de Pialat. Les deux expériences ont été des moments étonnants. Votre texte est une chose – est-ce que je peux dire cela, une chose ? ce n’est pas un mot négatif pour moi – une chose inconnue, avant d’avoir été lue. Pour moi, votre texte a été comme une écriture du film, comme on dit qu’un film peut être une mise en image d’un livre – on dit : tiré d’un livre ; Car l’amour existe, lui, est tiré d’un film. Je crois qu’on ne peut pas penser votre livre sans envisager de voir ou de revoir le film. Cela, je crois, n’a pas de sens. Votre façon de décrire exactement le film, le plus exactement possible je crois, avant même d’essayer de l’interpréter ou l’expliquer, a donné un résultat unique pour moi : je lisais, je voyais les images à la lecture, j’allais les confirmer ensuite sur le film et le film devenait le lieu de rencontre de celui qui écrit et de celui qui lit. Et la chose qui est votre texte et que je ne sais pas nommer advenait : une rencontre possible, vraie, hors du texte. Une rencontre physique par la vue et le son. Je regardais le film que vous veniez d’écrire, comme si je rencontrais l’auteur mais mieux que cela : je rencontrais le livre, les mots. Mieux que l’auteur, en l’occurrence, car l’auteur n’est pas ses mots. Expérience inédite.
    Voilà ce qui a rendu pour moi cette lecture unique. Mais il y a aussi votre écriture. Très proche, reconnaissable, je crois, et en même temps plus développée, plus riche que dans vos livres précédents. Mais la même voix. Un peu changée peut-être. Cela est rare : lire un livre d’un contemporain qui fait entendre une voix. Elle n’a rien à voir, je pense, mais aujourd’hui je reconnais la voix d’Annie Ernaux. Bien sûr, il y a eu Pierre Michon. D’autres, mais peu nombreux. Je ne compare pas. Je veux seulement dire que j’ai retrouvé votre voix dans ce nouveau livre. La même, voix exigeante et fraternelle, que je veux trouver dans les livres que je lis et que je trouve trop rarement. (…)
    Il y a beaucoup de choses à dire sur cette chose qu’est votre livre, Car l’amour existe. Mais en le lisant, j’ai pensé à cela: que c’était une prière dont le médium était le film de Maurice Pialat. (…) Prière sans dieu. Prière dont l’autel sont les images. (…)
    Benoît Reiss

  2. Alain

    • de Alain Guillard, auteur de l’Amourier éditions

    Il y a des livres qui sont une grâce, c’est fort rare mais cela arrive. Celui-ci en est une. Mais il est vrai aussi qu’on ne parle bien des livres que lorsqu’ils sont échos à soi.
    «Longuement, j’ai habité ce quartier de Courbevoie, l’église Saint Pierre Saint Paul», «Parmi les herbes hautes et les arbres frêles, un jockey, en tension sur son sulky, est tiré par un cheval au trot.» Ce sont là fragments de l’enfance, de celle née dans les années cinquante, soixante.
    Le livre se propose d’être un film. Un film, on en maîtrise le déroulement, on l’accélère, le ralentit, l’arrête un temps. Bien sûr, «l’enfance est finie», et, avec elle, tant d’images, de lieux, d’objets disparus. «Un regard encore peut lire sans amertume, ici, où le mâchefer, la poussière et la rouille sont comme un affleurement des couches géologiques profondes. » Le livre, ici, se remémore, nomme, comme si nommer empêchait l’oubli, la disparition. Le livre, hélas, n’est pas dupe de son illusion.
    «Longuement j’ai habité ce quartier de Courbevoie.» Plus tard, le livre évoquera la passerelle (qui n’est plus) enjambant les rails de la gare de Bécon-les-Bruyères. Plus tard encore, la piscine découverte de Levallois, La Défense. La banlieue, les banlieues.
    «Soudain, les rues sont lentes et silencieuses. Où seront les guinguettes, les fritures de Suresnes?» Ici, l’on croise André Hardellet dans ses propres errances. On remarquera aussi le souci de la langue, «Soudain, les rues sont lentes et silencieuses.» C’est de la poésie comme ce«Paris ne s’accordera plus aux airs d’accordéon», ou encore, «…moins sévères que le vent d’hiver qui verrait les Pantzers répéter sur le terrain.» Ici, le récit se double d’une richesse de rythmes et de sons. Des moments, ainsi, sont extraits de ce temps passé, ainsi que des pépites à conserver, au-delà de la phrase, destinée elle à s’oublier.
    «Revisiter à l’envi les images dont sont faits les souvenirs.» N’est-ce pas cela que l’auteur offre à la morte qui ouvre le livre, dont se dessine une silhouette au travers du texte ? Elle-même devient souvenir, lieu et choses à se rappeler en une retenue poignante. Et aussi «Paris ne s’accordera plus aux airs d’accordéon : L’enfance est finie.»
    Ce livre-film est une émotion sans cesse au lecteur. Un émerveillement.  Celui que j’ai ressenti – et ressens encore – tremblant à tourner les pages, peur que la page suivante ne soit à la hauteur de la précédente. Peur injustifiée, tant ce livre densifie ce qu’il décrit. Tant, à parcourir ces pages, on est devant une table chargée de gourmandises qu’on ne sait pas choisir, tant toutes…
    Alain Guillard

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Spécifications

Poids187 g
ISBN

978-2-36418-048-2

EAN

9782364180482

ISSN

2259-6976

Collection

Fonds proses

Format

14,5 x 20 cm

Pages

116

Prix

13,00 €

Dépôt légal

1er trimestre 2018

Auteur

Cyrille Latour

Editeur

L'Amourier éditions