Et n’oublie pas la lumière avant de…

16,00 15,20


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Murs envahis de silence où le moindre craquement fait feu au cœur.
D’une écriture tendue, à coups de phrases syncopées, Alain Guillard nous livre le portrait d’un homme écorché que son extraordinaire présence au monde (lumières, sons, oiseaux, paysages urbains) finira sans doute par réconcilier.

Format 14,5 x 20 centimètres
Pages 180
En couverture, dessin de Martin Miguel
Collection “ Fonds Proses ”
Prix 16,00 €  15,20 €
(remise 5% liée à la vente en ligne)

Catégorie :

Extrait

Deux pôles aimantent l’existence douloureuse de Pierre: d’une part l’alcool qui anesthésie, d’autre part, la rencontre amoureuse avec des femmes et des hommes, et jusqu’au travestissement, tant son indifférenciation sexuelle le rend perméable à autrui. Écartelé, Pierre marche sa vie au gré des êtres et des lieux, entre vifs moments du jour et temps de l’enfance, entre drames et pauvres événements; tout cela précis, sensible, consigné pas à pas en ses cahiers.

Pierre se retournait, essayant de comprendre ce qui lui arrivait, ce sentiment nouveau qu’il ne pouvait nier. Il revenait à l’origine, au-delà même de lui, réfléchissant aussi ses parents. De l’enfance, il n’avait que peu de souvenirs; ici ou là, une image de violence, un moment heureux. Leurs parents s’étaient séparés, à l’initiative de leur mère, alors que lui allait sur ses dix ans, son frère en ayant six. À mesure des années, une image s’était diluée, qui faisait écran, et d’autres scènes avaient surgi, comme la dernière: Leur père et mère se disputant, leur père menaçant leur mère, un homme surgissant –le locataire de leurs parents– s’en prenant à leur père, provoquant ce dernier en duel. “Si t’es un homme ! On verra si t’es un homme!” Leur père était donc descendu à sa suite. Mais rien n’avait eu lieu: leur père s’était “dégonflé”. C’est ainsi du moins que leur mère l’avait craché. Il a filé la queue entre les pattes, sans demander son reste. Oui, il est allé rejoindre sa mère et ses sœurs comme chaque fois qu’il a un problème. Amère, virulente. Brin de tabac ôté de sa langue. Il a toujours été comme ça. Depuis toujours, depuis que je le connais. Il a jamais rien eu dans la culotte. Ce soir, c’en est la preuve. Bon débarras! Qu’il y reste chez sa mère, avec ses sœurs pour le consoler! C’est pas moi qui irais l’y chercher!

Après, mais le temps entre… rien, il se rappelait la plainte de leur mère de retour du palais de justice de Paris, à propos du trajet que c’était, du sordide déballage de linges sales qu’étaient ces entrevues. Elle en rejetterait la totale responsabilité sur les sœurs, lesquelles représentaient leur frère retenu au travail souvent. S’exonérant aisément de ces face-à-face. Excusé évidemment par ses sœurs. “…Il arrivait que notre frère revenant d’une rude journée trouve sa femme en conversation animée, en train de boire un verre de vin avec des ouvriers du ravalement effectué alors. Quand il lui en faisait la remarque, elle lui répliquait qu’il fallait bien s’amuser. Qu’au moins eux étaient drôles. Pas comme lui.” On peut comprendre qu’ensuite… Elles disaient d’une même voix. “Cela justifie-t-il les recours à la violence? demandait la juge alors. “Non, bien sûr! Mais il avait des circonstances plus qu’atténuantes. Cette femme avait des antécédents. On la disait la jambe légère…” Etc, etc.

Quand leur mère revenait, elle puisait du courage dans un verre de vin, son paquet de cigarettes. L’homme qu’elle voyait alors –le locataire. De cela, Pierre n’avait eu conscience que tardi­vement. Pourtant, lors des droits de visite à leur père, lesquels avaient commencé avant même la prononciation officielle du divorce, leur mère avait multiplié les mises en garde afin qu’ils gardent le silence, l’avait intronisé gardien de ce silence sur la présence parfois de cet homme chez eux.

“Des souvenirs pour mille ans”, l’expression est de Léon-Paul Fargue. Elle est vraie pour tout un chacun sans doute. Simple­ment, il y a ceux qui, ligotés d’une façon ou d’une autre par eux, ne cessent de les ressasser, et les autres qui s’en arrachent au plus vite comme du plomb à leur vie, à l’essor de leur vie. Pierre était des premiers; aucun doute là-dessus.

Bien sûr, il n’avait rien dit et ne dirait rien de son sentiment actuel. D’ailleurs, il ne savait pas exactement ce qu’était ce sentiment. Il aurait aimé tenir l’Anne de la photo entre ses bras et tout oublier du reste dans ce havre de grâce.

Pour l’heure, il descendait tôt au bar, s’installait à la terrasse, y demeurait de longues heures à boire et à observer les gens, les imaginer.

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Et n'oublie pas la lumière avant de…
d'Alain Guillard

par Françoise Oriot pour la Gazette Basilic de mai 2020

Où s’abreuver quand manque le désir premier, le désir de vivre ? Pour Pierre Sannon (sans nom ?), le personnage principal du récit d’Alain Guillard Et n’oublie pas la lumière avant de…, le premier refuge sera l’alcool. Un univers que ceux qui n’y vivent pas jugent violent, avec ses accidents, ses rechutes, ses vies écourtées, mais qui ouvre à Pierre, dans la pénombre fraîche d’un bar, l’état de paix que l’alcool permettait d’atteindre, nettoyant de toute énergie, tout désir. La fragilité vient de l’enfance, de la mésentente des parents, de leur divorce. Sans répit montent les images, les scènes douloureuses, les disparus (frère, parents, tante et grand-mère), les amis turfistes, les séjours à l’hôpital, les rencontres amoureuses, sexuelles. Pierre ressasse, il aime à se rappeler. Ainsi, la vie ne l’effrayait plus ; enfermée, ficelée dans l’enclos de sa mémoire, elle ne risquait de surprendre sa vigilance, de se frayer un passage à son cœur. L’alcool anesthésie, console, autorise le rire tranquille de la vie, heures coulées à l’abri de la vie.
En contrepoint de ces réminiscences, les essais d’élucidation de Pierre : fragments de dialogues avec ses médecins, lettres d’amies ou pages recopiées de son carnet. Ce qui a été, ce qui aurait pu être.
Pierre se cherche, cherche également ce désir de vivre qui si souvent lui échappe, s’aperçoit qu’un désir différent peut émouvoir violemment son être fluctuant : le désir sexuel qui fait du ventre des femmes et des hommes une autre source où s’abreuver. Ses amoureuses, ses amants furtifs, ses pratiques de soumission liées à celle du travestissement, ces preuves de son indistinction sexuelle associée, selon le psy, à ses parents, si elles ne restaurent pas la permanence de l’être, sont jouissances fortes, parfois plénitudes.
Entre Georges Bataille et Hubert Selby Jr, se raconte, chaotiquement, la vie privée de direction d’un homme auquel le poète Alain Guillard prête son extrême sensibilité aux variations de lumière, présence d’oiseaux, feuillages, atmosphère des rues, des champs de courses… Une attention intense au monde et aux êtres qui explique l’incapacité de Pierre à apprendre à se défendre, à se cuirasser, à se protéger, à satisfaire sa soif. Cette errance est écrite dans une langue saccadée, au fil d’une partition rythmée de phrases interrompues, de mots en italique qui sont comme des accords plaqués. On croit entendre le solo d’un saxophone échappé du Charlie Birdy qui finirait par porter Pierre vivement sous la pluie. Joyeux de cette pluie sur lui. Gamin sur des chemins de vacances.

Spécifications

Poids254 g
ISBN

978-2-36418-057-4

EAN

9782364180574

ISSN

2259-6976

Collection

Fonds proses

Format

14,5 x 20 cm

Pages

180

Prix

16,00 €

Dépôt légal

1er Trimestre 2020

Auteur

Alain Guillard

Editeur

L'Amourier éditions