Dictionnaire de la Commune

A propos de la nouvelle parution du Dictionnaire de la Commune

Article d'Ernest London, Bibliothèque Fahrenheit, 8 novembre 2021

« La tentation, surtout dans un dictionnaire, serait de ramener toute la pensée de la Commune à une définition. C’est un vieux complexe : on veut posséder, on veut savoir. Toute notre tradition culturelle est une tradition de propriétaires. Il s’agit de s’approprier, et vite, l’essentiel. La Commune est révolutionnaire en ce sens, aussi, qu’il n’y a pas moyen de la réduire à ce point. » Bernard Noël a composé ce copieux volume, parfaitement lisible dans son intégralité, et qui propose une espèce de reconstitution historique on ne peut moins labyrinthique.
À la lettre P, comme Paris, on trouve le décor : « Le Paris de 1871 est un grand Paris, augmenté depuis la loi du 16 juin 1859 de huit arrondissements, qui lui ont annexé toute une ceinture de faubourgs. Ce nouveau Paris compte près de 2 000 000 d’habitants. Il en reçoit 40 000 de plus chaque année depuis 1851, accroissement qui bouleverse l’organisme de la ville, moins toutefois que les transformations que lui fait subir le préfet Haussmann, en la perçant de rues nouvelles et de boulevards. Ces transformations, discutables mais indispensables, ne tuent pas la cité : elles l’aèrent. Ce qui la tue, par contre, c’est la ségrégation qui tend à s’établir entre riches et pauvres. Autrefois, riches et pauvres habitaient ensemble : pas les mêmes étages, mais les mêmes quartiers. » Le contexte historique, depuis le siège qui dure quatre mois et douze jours, l’armistice signé le 26 janvier 1871 qui démontre au Peuple que « l’état-major n’était pas tellement ennemi de l’ennemi », et la paix, la chute de l’Empire, le Gouvernement de Défense nationale qui porta si mal son nom, jusqu’au 18 mars et à la proclamation de la Commune, sont racontés par bribes, puis, évènements après évènement en dehors de toute chronologie, chaque journée, jusqu’à la terrible Semaine sanglante, rendue possible par Bismarck qui permit aux Versaillais de contourner les Fédérés en empruntant la zone neutre au nord et à l’est de Paris, en libérant des soldats prisonniers et en leur fournissant des armes, et enfin la déportation et l’exil.
Et bien sûr, les personnages, nombreux, de A comme Aab Pierre Eugène, un des 7 496 communards condamnés à la déportation simple, à Z comme Zola Émile Charles Édouard, apologue de la répression versaillaise, en passant par Courbet Gustave, qui menaça de démissionner si l’on ne supprimait pas Dieu par décret.
Un nombre impressionnant de journaux est recensé avec précision, dont les archives de beaucoup ont très certainement nourri la rédaction de cet ouvrage. L’ami du peuple de Vermorel explique le 18 mars : « Nous ne combattons pas pour le pouvoir ; nous combattons pour le droit, pour le droit du peuple. » Le Bien public, dirigé par H. Vrignault qui « se fera un honneur d’avoir tué de sa main plusieurs fédérés ». Etc.
D’autres communes sont également évoquées : celles d’Alger, du Creusot, de Lyon et Marseille, de Limoges, de Narbonne et de Saint-Etienne. L’organisation de la Commune, de ses Commissions, avec ses décrets et ses actions, de la Garde nationale, des cantines, de l’administration, de l’éducation publique et des hôpitaux, des services de communication et de voirie, est, là aussi par de multiples entrées, minutieusement rapportée.
Les méfaits de Thiers et des Versaillais sont également racontés : aux protestations de la Société internationale des secours aux blessés contre le bombardement des ambulances et des hôpitaux, celui-ci répondit : « La Commune n’ayant pas adhéré à la convention de Genève, le gouvernement de Versailles n’a pas à l’observer. » À côté des cours martiales, les cours prévôtales condamnèrent au peloton d’exécution beaucoup plus de personnes en six jours que tous les tribunaux révolutionnaires en six ans. Les historiens estiment le nombre des exécutions en 20 et 35 000 et le nombre des prisonniers à 38 568. L’auteur rappelle, à titre de comparaison, que la Terreur, en un peu plus de dix-sept mois et sur toute France, est responsable de 16 594 condamnations à mort.
Mais l’énumération des faits n’empêche pas l’analyse : « Tout au long du XIXe siècle, l’État a fait faillite sous les noms successifs d’Empire, de Royauté, de République et à nouveau d’Empire. Depuis la Révolution de 1789, l’État ne saurait pour le peuple, avoir que trois principes : “Liberté, Égalité, Fraternité“, or chaque État ne fait que développer, aux dépens du peuple, un esclavage économique, pire peut-être que l’ancien pouvoir absolu. Donc l’État est mauvais, quel qu’il soit, à moins qu’il n’émane directement du peuple et ne reste sous son contrôle permanent. La Commune va essayer d’être cet État-là : un gouvernement direct, responsable et révocable. » Bernard Noël s’autorise même des commentaires personnels : « La force des Fédérés était dans leur élan révolutionnaire, et l’erreur fut sans doute de vouloir discipliner cet élan au lieu d’essayer d’en faire surgir une forme originale d’organisation. » Les influences de Marx, de Proudhon, de Blanqui et de Bakounine sont évaluées ; la présence nombreuse des Internationaux est soulignée.

On retient tout d’abord de cette lecture la spontanéité initiale que l’auteur ne cesse de souligner (et de regretter par la suite) et la profonde ambiance joyeuse et festive, la fraternisation, lorsque l’insurrection triomphe. Avec ce travail impressionnant, Bernard Noël a souhaité rendre hommage à la Commune, ajouté son propre « pavé » à une sorte de barricade commémorative aussi destinée à inspirer le présent : « La Commune est plus durable qu’elle n’a duré, de sorte que sa lumière voyage encore. » « En somme, la Commune “excède“. » L’Histoire peut donc aussi se lire à la manière d’un puzzle, puisque ce dictionnaire offre au lecteur la possibilité de construire son propre cheminement. Magistral et passionnant !

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

Lien vers La Bibliothèque Fahrenheit 451

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