Quelque chose du Tennessee 4

par Béatrice Machet

Harvest Time
Par Béatrice Machet

Fin janvier, la soirée est belle mais fraîche, les jours allongent significativement et déjà les tenues courtes des joggueurs sont de sortie malgré la gelée blanche qui se dépose et luit sur les pelouses du campus. Le Sarrat cinema affiche un cycle de films Russes et ce soir est programmé Harvest Time, que je suis très curieuse de regarder. Je m’apprête à plonger dans l’univers des Kolkozes d’après la seconde guerre mondiale, prête à prendre la mesure de ce que le mot stakanovisme veut dire quand l’immense Cole et son hypothétique profil Iroquois se dessine dans mon champ de vision. L’occasion m’est donc donnée de poursuivre mes explications au sujet de la sainte connue sous le nom de Kateri Tekakwitha. Et Cole de confirmer ce désir et cette attente. Arborant son légendaire sourire mélancolique, il me fait remarquer: «Nous avons vingt minutes devant nous Madame, cela vous sera-t-il suffisant pour m’instruire?»

Nous nous éloignons donc du hall et nous installons dans un petit salon du foyer des étudiants.

“Celle qui avance en hésitant" est née sur le bord de la rivière Mohawk, aujourd’hui dans l’État de New York. Elle est la première amérindienne d’Amérique du Nord à avoir été béatifiée. Sa mère, convertie au catholicisme, était algonquine (peuple allié des Français) et avait eu contact avec des missionaires Français. Faite prisonnière lors d’un raid Iroquois elle était devenue l’épouse d’un homme ayant de l’influence dans sa tribu.  Son père était comme le disent les Québecquois, un Agnier, c’est-à-dire, pour les Anglophones, qu’il était Mohawk mais les Iroquois eux-mêmes disaient Kaniengehaga: le peuple de l’emplacement du Silex. Les Agniers occupaient la partie la plus orientale du territoire de la grande confédération Iroquoise des Cinq Nations.
Les Agniers étaient les défenseurs des frontières Orientales du territoire Iroquois.

En 1609, les Agniers entrèrent en rapport avec les Européens pour la première fois, et l’on pense que c’est la façon dont les avait traité Champlain qui est vraisemblablement la cause de l’inimitié qu’ils portèrent aux Français. (Ils attaquèrent les Français pendant le XVIIème siècle conduits par leur chef Tekarihoken, sur les bords du Saint-Laurent. Les Hollandais, construirent un poste de traite à Fort Orange: actuelle Albany, New York). Ce qui permit aux Agniers et aux autres Iroquois de se fournir en armes afin de continuer leurs guerres contre les envahisseurs Européens. “>À l’âge de quatre ans, Kateri perdit toute sa famille suite à une épidémie de variole, et sa vue fut gravement affaiblie, d’où son nom, Tekakwitha, avance-en-hésitant, à tâtons dans sa presque nuit de mal voyante. Lorsqu’elle en a l’âge, ses parents adoptifs (oncle et tante) et le chef indien firent pression pour l’obliger à choisir un mari. Une jeune fille Mohawk devait se marier dans le but de pourvoir aux besoins de sa famille à un âge plus avancé. Son refus de mariage l’exposait à des vexations et à un statut social très précaire. Ce dont elle souffrit mais par-dessus tout  elle désirait devenir chrétienne, être baptisée. Ce qui pour la majorité de sa tribu  était considéré comme une trahison tant les relations avec les blancs  et la religion Chrétienne est difficile.

En plusieurs occasions, elle vit des “Robes Noires" venir au village de Caughnawaga. Il lui semblait que ces hommes avaient un “aura" de bonté qui les enveloppait. Quoiqu’il en soit, son oncle lui avait interdit de les écouter et de leur parler. Son oncle croyait que les Robes Noires étaient responsables des maladies et qu’ils étaient des porte-malheur pour le village. Un jour, en 1667, devenu Chef, son oncle fut obligé d’inviter les Robes Noires dans sa « longue maison ». Les missionnaires Frémin, Bruyas et Pierron passèrent trois jours en tant qu’invités dans la longue maison du Chef. C’était donc le devoir de Kateri de s’occuper d’eux; préparer leurs repas et se rendre disponible pour subvenir à tous leurs besoins puisque hôtesse de la longue maison de son oncle. Elle fut touchée par la bonté de ces hommes. Elle voulait désespérément connaître leur Dieu et son Fils. Elle se rappelait vaguement les choses que sa mère lui avait apprises sur le Dieu des Chrétiens. Sa mère lui avait aussi parlé de Jésus et de Marie – (Jesos et Wari). Une des amies de sa mère, Anastasie, racontait fréquemment à Tekakwitha que sa mère avait embrassé le christianisme et qu’elle lui avait enseigné quelques prières à Jésus et Marie. Parce que son oncle et ses tantes étaient farouchement opposés au christianisme et qu’ils lui avaient défendu de parler aux Robes Noires, Tekakwitha ne pouvait leur révéler son ardent désir d’en apprendre davantage et de devenir chrétienne comme sa mère l’était. Cependant, elle pouvait écouter leurs prières et leurs paroles. Et un jour où elle se retrouva seule au village elle eut le courage d’exprimer son désir aux jésuites qui y avaient construit une modeste église.  Jacques de Lambertville, un missionnaire jésuite Français, accéda à sa demande après six mois de catéchuménat, et elle fut baptisée le jour de Pâques en 1676. Vers 1668, grâce à l’influence de plusieurs missionnaires, un petit nombre d’Agniers se convertirent et quittèrent leur territoire natal, dans le centre de l’état de New York, pour s’établir près de Montréal, à Sault-Saint-Louis. Kateri rejoindra ce lieu un an plus tard mais arrivée à La Prairie en 1677 après un difficile voyage, elle désire devenir religieuse et convertir la vallée iroquoise. Elle se trouve transformée dans la prière. Sa piété impressionne l’historien François-Xavier Charlevoix, en mission en Nouvelle-France sous les ordres du roi Louis XIV. Elle ne vécut que trois années sur les bords du fleuve Saint-Laurent, mais on lui attribue d’avoir sauvé la colonie de la destruction indienne, la vue de sa tombe aurait effrayé les attaquants du village. Kateri est morte le 17 avril 1680, à l’âge de vingt-trois ou vingt-quatre ans. Sa réputation se répandit grâce aux  réseaux des Jésuites. Elle avait beaucoup pratiqué le jeûne et la flagellation, elle est morte en mystique, épuisée par les privations, et son parcours ne peut que faire penser à la trajectoire que suivra de Simone Weil trois siècles plus tard. Aux Etats-Unis et au Canada, dans les milieux catholiques, la figure de Kateri Tekakwitha est devenue un symbole et l’exemple inspiré des «enfants de la nature», c’est-à-dire des humains qui veulent élever leurs cœurs et leurs esprits en œuvrant pour l’écologie.» Cole ne m’a pas interrompue, il n’a pas pipé mot. Je le vois pensif, les yeux dans le vague. Il regarde sa montre avec lenteur, et toujours songeur il déclare: «Je ne veux pas voir ce film Russe, désolé de vous fausser compagnie, je préfère méditer sur ce que j’ai appris ce soir, et continuer de chercher en moi ce qu’il reste d’Indien. Je dois retrouver un sens à mes études, trouver un sens à ma citoyenneté américaine, et cela ne passe  ni par l’église, ni par la Russie ni par les salles obscures je crois! Bonne soirée Madame et encore merci pour votre disponibilité.» En prenant place dans la salle de cinéma j’ai moi aussi l’esprit occupé par l’histoire de ces peuples Indiens. Je  me promets alors qu’à travers elle, en utilisant cette grille de lecture, je vais décrypter un autre message que celui distillé consciemment par les autorités Staliniennes représentées dans Harvest Time. Temps de récolte, saison des moissons et vendanges, quelque que soit l’âge, quelque soit l’heure, si la conscience humaine le veut bien, chaque seconde porte son fruit !

Béatrice Machet

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