Envie de faire silence

Hommages d'auteurs et amis de l'Amourier

Envie de faire silence
par Bernadette GRIOT

Bernard, l’ami cher dont nous partageons ici l’absence, avait écrit “J’envie les morts qui n’ont plus à mourir”.

Puis… “les morts ne sont plus que des mots…”

Pour combler le manque, il nous faut donc maintenant remplacer Bernard par des mots. Les siens.
Mais, écrit-il encore “J’ai l’impression que les mots ne cessent d’ajouter un nouveau vêtement à ce qu’ils devraient avoir pour tâche de découvrir”.
Et, fait-il dire à l’un de ses personnages des Premiers Mots “Tu devrais avaler un couteau à ouvrir les mots. Tu saurais peut-être enfin qu’ils sont vides. Tu comprendrais que le vide ne peut véhiculer que le vide, et que ce n’est pas la peine d’aller baver du vide sur ma tombe”.

Envie de faire silence.
J’hésite. Je tourne autour.
Je retourne aux mots, à ses mots à lui, qui, vie et mort tressées, ne sont que présence et désir, nés d’un “appétit difficile à combler”.

D’ami plus habité par la conscience de la mort je n’ai jamais eu.
D’autre ami à ce point questionné par le sens et le mouvement de la vie, je n’ai pas eu.

Je remercierai toujours le hasard, Bernard, qui a fait croiser nos chemins: un livre extrait d’un rayon de bibliothèque à cause de son titre, Extraits du corps. Après lecture, dans “un grand mutisme intérieur” partagé à distance, une première lettre, puis une correspondance s’en est suivie. Le temps pour moi de rejoindre un “Nous” épistolaire, amical, plastique et littéraire, et dans le même élan, un nous profondément social et donc rebelle, rêvant de révolution. Puis le temps pour toi d’approcher le travail éditorial de l’Amourier qui reçut rapidement ta confiance. De préfaces accordées en livres réalisés, chaque fois nous fut offert par toi, un point de vue décalé, au sens géographique du terme, qui ouvrait à la langue des perspectives inattendues.
La vie n’a jamais cessé d’entrer ainsi dans tes livres… désir et plaisir d’écrire se confondant. Jusqu’au bout, avais-tu prédit, craignant que l’écriture ne s’arrête avant toi, te laissant impuissant et démuni…
Aussi résolu qu’impatient, tu as suivi de près, malgré la fatigue de ces derniers mois, la mise en œuvre de la nouvelle édition –tant attendue– de ton Dictionnaire de la Commune. L’ardeur de ton vœu le plus cher m’a pressée à te l’apporter jusqu’en ta demeure.
Ô que tes yeux lentement ont dit le ravissement. Et tes mains le remerciement, avant que n’affleurent ces mots “Je suis impressionné de le tenir enfin”.

Huit jours après, tu partais.
Sur ta tombe, repose une rose rouge.
Adieu l’ami. Et merci de nous avoir laissé en partage la claire voyance de tes mots.
Que le vent les porte.

 

 

Bernadette Griot, éditrice à l’Amourier

Hommage également présent sur Poezibao