Ciel déchiré, après la pluie

de Michaël Glück

Aller vers notre nom perdu
Par Alain Freixe

C’est peu de dire que le livre de Michaël Glück trouble nos approches narratives, dérange nos habitudes de lecteurs, il nous «pique et mord», selon les mots de Kafka. Il nous laisse perplexe, tant il nous suggère plus qu’il n’exprime, tant il nous inquiète par les questions qu’il soulève, tant il nous porte à ouvrir piste de lecture sur piste de lecture. En quoi il importe selon moi, aujourd’hui.

C’est un récit fait de l’enchaînement de plusieurs histoires, de l’harmonie entre des éléments de récits, des moments du temps différents qui me font penser à cet art d’entrebezcar les mots des troubadours, un art de la composition, un art du secret et du silence…

Ce récit tourne autour et tente de conjurer, d’exorciser la peur, cette peur qui traverse nos temps de détresse. Ne sommes-nous pas toujours dans le temps des catastrophes? Tout se passe comme si planait une menace, un danger imminent, quelque chose qui pourrait se produire de pire au sein même de nos jours comme une anticipation du malheur.

Ciel déchiré après la pluie mêle récits de guerres qui n’en finissent pas –exclusions, concentrations, exterminations… –et récit d’anticipation– la catastrophe nucléaire a eu lieu. Cette composition où se mêlent les temps permet d’aller chercher dans hier, voir si ne subsisteraient pas là quelques graines survivantes. Ce rapport de tension au passé permet non pas de se jeter vers on ne sait quel futur finalement mais bien d’éclairer notre présent au moyen de questions qui concernent ce qu’il en est de l’homme, de ses relations aux autres y compris amoureuses –et oui, il y a aussi une histoire d’amour– de son pouvoir de nomination, de son art de raconter…

Plus que des personnages, il s’agit dans ce livre de voix : elles sont multiples et font polyphonie. Il y a celle de Weg, d’Eva, de L’homme qui marche, d’une femme infirmière ou médecin, de la femme sans yeux, des 70 enfants qui formeront ce choral des septantes qui va scander le récit. Toutes résonnent comme autant de questions. Et nul ne sait. On se méfie des mots d’hier, vieilles histoires et pensées anciennes.

Ce livre est le livre des questions. Questions telles qu’aucune réponse ne saurait venir clore, achever, parachever. Alors que tout semble se fermer, se tenir serré sous neige, pluie, neige à nouveau avant reverdie, tout reste ouvert. Entre l’exil d’un homme voué à l’errance et l’exode choisi par les septantes sous la houlette de l’Ange –toujours aux prises avec la question des noms– ce «bataillon de nous» qui ne sait où il va, vers quelle guerre, quel lieu, on se demande, dans cette histoire «pas finie», si tout va recommencer comme avant « ou bien » si un vrai commencement est possible? Répétition ou reprise? Michaël Glück en sait lui-même si peu que c’est à l’écriture qu’il confie son désir d’apprendre, d’en savoir un bout de plus sur ce que lui-même cherche. J’imagine qu’il ferait sien ces mots d’Edmond Jabès: «Nous n’écrivons pas, nous sommes écrits. D’où l’ouverture et le risque.»

Beau risque à partager. Lire n’est-ce pas sortir de soi-même et «aller vers notre nom perdu»?

Alain Freixe

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