Revue Europe, novembre – décembre 2022 septembre 2022 – Alain Freixe

Ce résistant  du sens de l’homme

Disons-le d’entrée de jeu et en quelques mots. Jacques Stephen Alexis est né le 22 avril 1922 aux Gonaïves en Haïti. Nous fêtons donc le centenaire de la naissance de ce remarquable écrivain haïtien qui sut faire entrer «le réalisme magique» propre à sa terre natale – cette théorie qui entendait mêler univers réaliste et univers mythique et que pratiquaient les écrivains latino-américains – dans la langue française – Lisez ce Compère général soleil de Jacques Stephen Alexis qui se trouve dans la collection «l’imaginaire» chez Gallimard, vous apprécierez cette force d’écriture qui ensoleille le roman  et cet engagement sans concession au côté de tous ceux qui se trouvent errer en bordure d’humain. Et certes Jacques Stephen Alexis fut un homme engagé par et dans la collectivité, militant et chef de parti, fréquentant Cuba, Moscou, Pékin. Il mourra en avril 1961, assassiné par les «tontons macoutes», hommes du dictateur «Papa Doc Duvalier» alors qu’il venait de débarquer clandestinement pour créer un «foco» et engager la lutte armée avec la dictature.

C’est ce résistant du sens de l’homme, ce «léopard», au cœur ouvert, «animal de vérité», selon lui, en prise directe avec les forces de la nature et de l’histoire, dont Michel Séonnet retrace la vie dans ce livre que republient aujourd’hui les éditions de l’Amourier dans leur «collection Bio» – une première édition, épuisée, avait vu le jour en 1983 aux «Pierres Hérétiques» éditions qu’avait créées Armand Gatti. Les quatre veillées de ce livre se trouvent enrichies dans cette nouvelle édition d’une préface de Lyonel Trouillot, des bois de Ronald Curchod la rythment et deux portraits de Jacques Stephen Alexis par Ernest Pignon-Ernest l’accompagnent. Ainsi prend-il toute sa place dans le cadre des manifestations nationales et internationales organisées à l’occasion de ce centenaire. Ce voyage vers la lune vers la belle amour humaine est bien sûr l’histoire de Jacques Stephen Alexis racontée par un «compose», «un chanteur des carrefours», «un pêcheur de lune», un griot à des enfants, sous les étoiles haïtiennes, aidé par «un homme» en prise sur des éléments plus factuels mais c’est aussi l’histoire d’un coup de foudre. Une vraie rencontre comme une complicité de cœur à cœur entre un jeune écrivain, Michel Séonnet, et cet homme d’action, militant et écrivain qui sut lier cette révolution intérieure qu’il nomme «la belle amour humaine» au combat révolutionnaire politique, à ses nécessités historiques. Ce Voyage est un bâti de fragments d’histoire, de faits avec leur halo de mystère, d’extraits de romans, de discours politiques, bref une fiction dont la vérité tient dans ce qui s’en dégage et flotte dehors «comme une lumière suscite une vapeur» disait le romancier Joseph Conrad. Par le seul pouvoir des mots écrits, Michel Séonnet parvient à nous faire sentir et voir les tourments d’une vie et l’inexorable d’un destin. Son écriture est traversée d’éclats et d’étincelles qui viennent jouer avec celles qui continuent de nous arriver de la voix tropicale de Jacques Stephen Alexis, les deux se mêlent comme autant de produits de la vibration de cette belle amour humaine jamais là et toujours présente pourtant comme du dieu qui passe. Là s’arme notre patience, fruit de ces «armes miraculeuses», dont parlait Aimé Césaire, armes fées et tranchantes de cette poésie qui toujours «dit plus» et par là est propre à préserver, entretenir la graine du feu pour qu’elle ne meure. Ce qui ici est dit est dit en violence et tendresse, y a-t-il autre façon de dire, quand c’est la création, le soleil, l’arbre, les forces de vie, la lutte incessante contre les Ubus de tout poil, ceux qui ne savent plus appeler les aurores, qui assassinent les matins, bref contre la mort et ses visages biseautés d’injustice?

Alain Freixe

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