Les restes

 

Les restes
Par Bernard Noël

Chaque jour davantage de chômeurs, davantage de faillites, davantage de misère : comment s’opposer à ce mouvement désastreux ? Une majorité a cru trouver le bon remède politique en portant au pouvoir un gouvernement socialiste, il y a un an. Les élections dites « démocratiques » furent en réalité médiatiques. Il ne pouvait en être autrement car le Président précédent avait fait de l’agitation médiatique un moyen de gouverner en trompant le plus grand nombre au profit du plus petit. Cette situation, devenue trop apparente, avait créé un besoin de justice sociale pour en finir avec le culte des privilèges très visiblement affiché.
Le futur nouveau Président et son entourage semblaient alors comprendre que leur élection représenterait la volonté d’un redressement social inséparable du redressement économique. Désormais, l’emploi primerait sur les dividendes, la justice fiscale sur les abattements favorables au seul capital, le respect de la personne sur l’arrogance policière. Au cours du grand rassemblement populaire qui débutait sa campagne électorale, le futur Président avait eu cette exclamation inoubliable : « Je n’ai qu’un ennemi, c’est la Finance ! » Et le mot « changement » s’était imposé comme le principe fondateur du prochain pouvoir.
Le changement a bien eu lieu, et très rapidement, mais il n’a changé que son propre sens et ses promesses. Ce retournement est si complet que le gouvernement socialiste s’est vite inscrit dans la continuité de l’ancien État de droite mais en aggravant la situation qu’il aurait dû pacifier. Ce désastre n’a qu’un avantage : celui de généraliser la conscience que la politique, pour ranimer la citoyenneté, devrait avant tout promouvoir une articulation de la langue qui garantirait la coïncidence des mots et de la réalité. L’élection du gouvernement socialiste a d’ailleurs reposé sur l’espoir de cette justesse, qui éclaircirait tous les problèmes en attendant de les résoudre.
La clarté, qui restaure le langage commun dans la certitude que le discours ne trompe pas, restaure aussi la relation entre le pouvoir et les citoyens. Un courant de confiance fait alors qu’on n’est plus dans la fausse monnaie verbale mais dans un sentiment d’égalité dû au partage d’une même réalité. Et ce sentiment suscite une responsabilité pareillement partagée dans l’élan d’une compréhension réciproque.
Au lieu de quoi, le changement a changé si vite de sens que son vocabulaire s’est vidé dès qu’il a commencé à servir. L’affirmation, qui fut panache, n’est plus que pensée en berne tandis que le citoyen en arrive à se demander s’il ne valait pas mieux un ennemi dont les mauvais coups étaient prévisibles qu’un « ami » dont les trahisons le prennent au dépourvu.
Comment ne pas en conclure que tous les moyens sont bons pour prendre le pouvoir, à commencer par le mensonge et le parjure, indispensables condiments de la réussite démocratique surtout dans sa version médiatique. Quand seule compte la prise du pouvoir, cette prise justifie tout ce qui l’a permise, et de toute évidence il n’y a pas d’autre règle morale que la réussite. L’efficacité est l’unique critère et le cynisme la meilleure posture. L’étrange est que cela crève les yeux mais que le citoyen ne se résigne pas à une vue qui le rend plus vulnérable que lucide.
Le socialisme fut, il y a un an, un moyen de prendre le pouvoir et non de changer la société. Cela posé, il faut bien se demander si le pouvoir et la politique ont un autre rapport que la manipulation de la seconde par le premier à son seul bénéfice. Conséquence : la politique ainsi dénaturée n’est plus au bout d’un an d’exercice du pouvoir socialiste qu’un déchet sans aucune commune mesure avec la réflexion sur la condition sociale dont elle se réclame. De plus, ce misérable reste empoisonne et salit tout l’espace de la citoyenneté.

Bernard Noël
12/03/2013

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