… Impossible de refermer cette chronique sans avoir signalé la parution de La Place du regard, petit recueil de deux textes de Bernard Noël (aux Éditions de L’Amourier). Le premier, écrit en 1989, dans le cadre du bicentenaire de la Révolution française, est très bref. Il énonce que “ce que la Déclaration des Droits de l’homme ne dit pas, mais qui est au fond sa revendication principale, c’est le droit de voir. […] La réalité visible n’est pas le réel, c’est le langage de l’ordre. Voir nous met en situation d’éclaircie, et dans cette clarté l’ordre forcément se défait. […] Voir abolit la vieille opposition entre le dedans et le dehors, la vieille hiérarchie entre le physique et le spirituel. […] Voir déchire le conformisme dont nous sommes doublés, et le réel apparaît, et à la place du pouvoir – c’est l’amour.”
Le second, plus tardif, “écrit dans la perspective d’une invitation à présenter son travail à un public”, est sur le thème de la “sensure” (ou privation de sens), très familier aux lecteurs et aux lectrices de l’œuvre de Bernard Noël. “Cette histoire (dit-il) se confond au début avec la mienne, du moins celle de mon écriture” – celle du Dictionnaire de la Commune, du Château de Cène et de L’Outrage aux mots. Il y est encore une fois question de regard: “L’aveuglement c’est-à-dire le meurtre du regard est l’un des signes rituels du pouvoir. On a aveuglé les vaincus tout au long de l’histoire depuis Sumer. Aujourd’hui, on aveugle les citoyens pour castrer leur regard, mais il n’est plus nécessaire pour cela de leur crever les yeux avec des dagues ou des épingles. On le fait sans douleur, et sans laisser ni trace ni blessure, avec des images.” La Place du regard est une bonne introduction à cette œuvre foisonnante, d’une rigueur peu commune. Bernard Noël, comme Emmanuel Hocquard (à qui est dédié en 1983 La Chute des temps), nous manquent. Lisons-les, relisons-les; c’est une urgence en ces temps de détresse.