Michel Ragon


Michel Ragon est mort
Par Alain Guillard

Michel Ragon est mort. Michel Ragon, si on le connaissait, c’était d’abord comme chroniqueur et critique d’art. J’étais en terminale, quand mon amie de l’époque, Anne M., me prêta un de ses livres qui était à son programme des Arts Appliqués. Je me rappelle la cour de lycée d’alors, ceinte des hauts bâtiments de cours, les quelques arbres ratiboisés, l’alternance de briques pâles et pourpres des bâtiments, le long manteau de laine sombre qu’elle portait, son visage presque mauve, couvert comme de mouches, d’ombres de mouches et aussi sa minuscule bouche au dessin d’arc prononcé.
Bref, ce fut cette fois, la première fois que je lisais le nom de Michel Ragon.

Et, cependant, des années après, des dizaines d’années plus tard, Michel Ragon, pour moi, c’est d’abord son Histoire de la littérature prolétarienne (de langue française). Je la garde à portée de main, pliée, annotée. Elle m’est utile pour aborder enfin ce continent ignoré toujours ; la littérature des pauvres, écrite par des pauvres, mais pour tout le monde – ce qui, hélas, est, à ce jour, vœu largement pieux.
Grâce à elle, je ne pars pas à l’inconnu. Il m’y indique des chemins, des noms à aborder, à prolonger par la lecture. Il rend hommage. Et j’aimerais, aussi, rendre hommage au travail d’une revue (qui, hélas, n’existe plus) comme Plein Chant qui, à sa suite, dans sa foulée, aura permis de lire de nombreux écrivains (à la volée, Lucien Bourgeois, Marcel Martinet, Georges Hyvernaut…) ignorés de l’intelligentsia – enfin, celle qui s’autodétermine ainsi. Et Plein Chant était aussi maison d’édition.

Donc, j’ai cette Histoire qui ne me quitte guère. Déjà, elle m’a permis de découvrir Roger Boutefeu dont le Veille de Fête est un bonheur si grand qu’on ne peut le goûter que peu à peu. D’une écriture dense, chargée d’images sans que celles-ci fussent jamais fioriture, où la nature décrite de l’œil aigu de qui sait voir, a su saisir, silence fertile. Lu également grâce à cette Histoire, Jean Pallu et son L’usine qui vaut un Samedi soir, dimanche matin (ouvrage qui valu, en son temps, les années soixante, à son auteur Alan Sillitoe, auteur anglais, d’être immédiatement célèbre) et d’autres comme Tristan Rémy, Jean Mousseron, Robert Edouard, André Sévry; tous, poètes et écrivains à découvrir.

Et je me disais à lire son livre, à y lire comme personne ne désirait publier les inédits qu’il conservait de Lucien Bourgeois, ou encore lisant l’un de ses roman, Mémoire des vaincus (car il était aussi romancier) que j’aimerais entrer en contact avec lui. C’est alors que j’ai appris sa mort à quatre-vingt quinze ans, qu’elle m’a été hélas confirmée depuis. Alors, j’ai eu envie d’écrire ces quelques mots pour partager avec qui lira cette note, qui en déduira ce que j’ai déduit moi-même de la lecture de son livre, mon émotion et remercier de ce que –au-delà de sa mort– il nous donne ainsi à tous.
Merci donc Michel Ragon.

Alain Guillard

Accéder à l’ensemble des chroniques